11 Mai Inspiration# 4 Interview de Sébastien Groyer
Bonjour Sébastien Groyer, peux-tu te présenter et nous dire en quoi consiste ton métier au quotidien ?
Je suis investisseur en capital risque au sein de Seventure, une filiale de Natixis. J’investi dans des start-ups du monde de la santé, pharmaceutique et dans d’autres secteur technologiques. Je suis aussi auteur sur le monde capitaliste et son futur.
1) Sébastien Groyer, Quel est ton regard sur la crise traversée par nos entreprises ? Qu’observes-tu ?
Sébastien Groyer: J’observe plusieurs choses, la première c’est la remise en cause de notre modèle économique, international et interdépendant. Il y a une vraie question sur la façon dont notre économie internationale est connectée et comment un petit virus peut la désorganiser de façon très rapide. Ça pose la question de la fragilité de notre système.
« La crise pose aussi le challenge de l’agilité de nos entreprises, quelle que soit leur taille »
Comment elles réagissent ? Elles créent de la flexibilité pour la surmonter en mettant en place le télétravail avec des organisations répondant aux normes de déconfinement.
« Nous voyons donc des solutions très originales et intéressantes avec une flexibilité de nos organisations que l’on n’imaginait pas avant la crise »
2) Quels sont pour toi les défis auxquels les entreprises vont être confrontées au retour à la normale?
Sébastien Groyer : Je vois un défi assez large qui est : Comment elles vont s’organiser pour affronter une hypothétique 2ème vague de contamination ?
Comment peut-on trouver une autre organisation pour continuer à travailler, tout en respectant les règles de distançassions, (mettre en place 2 équipes, travailler à distance ) ?
Les entreprises pourront donc flexibiliser leur organisation, ne pas rester sur une 9H-17H avec des salariés au bureaux et ainsi faire évoluer le monde du travail.
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L’autre axe est comment la reprise va se présenter, sera-t-elle lente ? Rapide ?
Des secteurs comme le commerce international ou le tourisme devront s’adapter car la reprise sera plus lente. Il faudra trouver des leviers financiers et humains pour pouvoir passer ces moments difficiles.
Mon secteur de start-ups de santé est un peu moins impacté car elles font généralement de la recherche à long terme, avec peu d’activité commerciale à l’inverse de la restauration, du tourisme. Néanmoins on voit des problèmes liés à la réalisation des essais cliniques, lié au financement car les investisseurs sont à l’arrêt. Mais là aussi il va falloir s’adapter, être flexible tant du côté des entreprises que des employés.
Et heureusement qu’on a des outils informatiques et de communication appropriés. Imaginez cette même crise il y a 30, 20 ou même 10 ans. Il aurait été beaucoup plus difficile de travailler à distance, d’être productif. Nous aurions vécu un arrêt encore plus brutal de l’économie
3) As-tu une belle initiative de votre groupe ou du terrain à nous partager ?
Oui, une de nos start-ups, qui est en relation avec la Chine, a décidé de faire de la production et importation de masques.
« On est capable dans des entreprises agiles de se mettre au service d’un besoin sanitaire, de se mettre en ordre de marche pour que notre activité serve à la réponse au Covid-19 »
Et cette réponse a été de fabriquer des masques et de les acheminer du producteur au besoin du personnel soignant en adaptant l’organisation de l’entreprise.
Il y a donc une capacité que ce soit de la part des start-ups que des plus grosses entreprises à se réinventer en période de crise. C’est aussi là-dessus qu’on juge la capacité d’une entreprise. A se réadapter en permanence en fonction du contexte et ainsi développer des opportunités.
Dans de pareils cas, d’autres entreprises verraient d’immenses problèmes, un risque. C’est principalement dans l’œil du dirigeant qu’un événement devient une opportunité ou un problème.
4) Pour toi, qu’est ce que la crise doit faire changer dans la stratégie de nos entreprises?
Elle doit rendre les entreprises plus à l’écoute des grands risques qui existent. Nous avons tous dans notre tête la grande victoire des sciences, de la technologie, du progrès sur le monde ; victoire souvent indexée sur des problématiques environnementales. Or nous sommes relativement fragiles. Il y a une humilité à retrouver avec cette forme nouvelle d’agilité. Car oui nos organisations ne peuvent pas tout prévoir. Nous devons donc gérer l’incertitude, les risques que nous ne connaissons ni ne maîtrisons à l’avance.
« Ça me fait penser à un livre qui a fait beaucoup de bruit il y a quelques années , Sapiens de Yuval Harari qui disait que nous avions maîtrisés les grands risques de mortalité pour l’humanité (famine, épidémies, guerres) »
Or la pandémie du Covid-19 montre que ce n’est pas tout à fait vrai. Il faut donc revenir sur une humilité et une façon de penser le monde qui est moins figée, avec une globalisation qui a des défauts et des avantages.
Nous devons nous réapproprier le local, le global afin de nous sécuriser et être moins en risque sur l’humain, la santé, les finances vis-à-vis de sujets que nous n’avions pas identifiés. Et c’est ce qui fait une crise ; il y a quelques mois, personne ne les avait prédits, anticipés.
Tous ces changements dans nos organisations vont dans le sens des nouvelles générations qui veulent être plus libre à la fois dans leur temps et dans les modalités de travail. Avoir des temps de télétravail, réduire les transports. Néanmoins je ne crois pas au 100% télétravail. Il faudra aussi des temps pour se voir, se réunir, se croiser.
De plus il y a aussi un mélange entre vie privée et vie du travail qui s’est invité encore plus fortement à la maison. Il faudra donc trouver un équilibre entre télétravail, vie privée et vie en entreprise.
5) Qu’est ce que la crise va changer dans l’organisation du travail?
Je pense qu’il va y avoir un changement sur les chaines de production, où une robotisation peut s’accélérer, pour minimiser les impacts des crises sanitaires, et offrir de la flexibilité dans l’organisation du travail. Nous pourrons produire de plus en plus à distance. Nous le voyons bien avec l’impression 3D pour des outils, des pièces de respirateurs, des masques.
Nos entreprises vont accélérer ce mouvement de robotisation, d’impression 3D pour rendre nos organisations plus flexibles, plus lean, plus agiles.
Nous allons donc créer d’autres emplois, basés sur la créativité, le management au détriment de la production tayloriste pure et simple.
Ceux que l’on voyait être les meilleurs individuellement ont beaucoup souffert de cette crise. Il y a eu besoin d’aide extérieure, que nous soyons une grande entreprise ou même vis-à-vis de l’Etat. .
« Il a un renforcement du mieux travailler ensemble de manière harmonieuse »
J’espère que nous allons nous renforcer sur la sécurisation de nos populations. Comme par exemple à travers un revenu minimum universel nous pouvons mieux sécuriser la population qu’un système de chômage partiel, d’aide massive. Qu’un système plus systémique, plus structuré puisse à la fois maintenir un niveau d’économie fort et sécuriser la population dans ses activités diverses.
Une réflexion fondamentale est à mener sur les risques que les entreprises peuvent couvrir ou pas. Nous voyons que l’Etat est le garant en dernier ressort de l’économie. C’est à lui qu’il revient de la relancer avec des aides massives et un endettement toujours plus fort. La question fondamentale de la gestion de ces dettes étatiques va se poser inévitablement à court ou moyen terme. L’Etat ne peut seulement être l’assureur en dernier ressort, s’endettant à chaque fois, à chaque crise, un peu plus.
Comment faire en sorte que cette dette n’impacte pas trop négativement les générations futures ?
Enfin nous ne pouvons pas rester dans une course à la surproduction quand on voit les impacts écologiques.
On doit revisiter notre modèle, entre qui prend les risques et qui prend les profits, et comment nous équilibrons nos systèmes pour ne pas retomber dans nos travers actuels.
Sébastien Groyer
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